Vers l’Homme Nouveau
3e dimanche de l’Avent: Jean se définit comme une voix. Qui parle aujourd’hui ? Qui sont les prophètes ? Un commentaire de Marcel Domergue, jésuite.
Seul l’évangile du 4e dimanche nous parle de Marie et c’est pour nous renvoyer au premier jour de l’attente, avec le «récit» de l’Annonciation. On peut pourtant penser à ce qu’elle a vécu pendant sa grossesse et en particulier pendant ces dernières semaines. Attention à ce qui se passe en elle ? Attente ? Joie ? Certainement. Avec probablement une pointe d’inquiétude surmontée dans la foi. La liturgie nous fait chanter le Magnificat entre les deux premières lectures. Comprenons que l’humanité est en état de grossesse, de gestation, jusqu’à l’ultime venue du Christ. Gestation de l’Homme terminal, bien sûr, mais aussi de nous-mêmes qui allons vers cet achèvement de notre création. Alors, ne nous laissons pas prendre, ni affliger, par le spectacle de ce qui se passe dans le monde, et croyons fermement que ce qui vient, c’est le meilleur. Le meilleur absolu, indépassable. Le texte d’Isaïe est particulièrement éloquent : il nous parle de nuptialité et de fécondité. Au fond, en un certain sens, l’Avent est le temps de la reprise de conscience de la Bonne Nouvelle. Parce qu’elle est bonne, d’une bonté indépassable, beaucoup ont du mal à la prendre au sérieux, à lui accorder l’importance décisive qu’elle recèle. Devant les yeux et nous bouchant la vue, nous avons en effet le spectacle de toutes les mauvaises nouvelles que nous apportent les médias. N’oublions pas que c’est en passant par le calvaire que le Christ parvient à la nouvelle naissance, à l’Homme Nouveau.
Jean toujours là
Quand on demande à Jean qui il est, il ne décline pas une identité, il se définit comme une voix. La voix qui crie dans le désert retentit depuis toujours. Voix humainement anonyme parce qu’elle n’est pas une voix d’homme mais, passant il est vrai par des hommes, la voix de Dieu. Le Verbe est déjà là, mais encore voilé, pas encore en plénitude. C’est masqué par cette plénitude, à laquelle il appartient mais qui le dépasse, que Jean disparaît, se fait disparaître. Pourquoi tant insister ? Parce que d’une certaine façon nous en sommes toujours là. Certes, nous venons après Jean et même après Jésus en lequel nous avons reçu un baptême non plus d’eau mais d’esprit (verset 33, hors lecture), mais la venue du Christ est encore, en ce qui concerne sa pleine réalisation, au futur. Il y a encore «juif et païen, homme et femme, esclaves et hommes libres», nous ne sommes pas encore «tous Un dans le Christ Jésus» (Galates 3,28). Cela est déjà réalisé en droit pour ainsi dire, en possibilité, et c’est la Pâque du Christ qui le met au monde, mais nous avons à le réaliser historiquement. Nos divisions sont loin d’être dépassées et le désert d’amour est toujours le lieu où nous avons à faire retentir la voix divine. Les hommes de pouvoir «envoyés de Jérusalem» sont aujourd’hui moins agressifs qu’aux temps de Jean Baptiste, mais ils laissent dire les «prophètes» actuels et se livrent au culte de leur propre prestige.
Tous prophètes
Nuançons les lignes précédentes : il y a encore pas mal de «prophètes» emprisonnés et mis à mort, comme Jean Baptiste. Pensons, entre autres, aux moines de Tibhirine. Le désert de Dieu, le désert d’Amour reste meurtrier. Le désert est plein d’idoles et les idoles, fausses images de Dieu, sont meurtrières. Le baptême vient surclasser, doubler, l’idole : puisque mort et meurtre il y a, il vient assumer cette mort et inaugurer une vie nouvelle, une vie autre. Être plongé dans l’eau signifie revenir à l’abîme primordial, celui de Genèse 1,2 où nous trouvons déjà l’eau et le souffle, l’Esprit. Mais le baptisé ne reste pas dans l’eau, il en ressort pour une vie au-delà de la mort figurée par l’immersion. Le rite ne suffit pas. Il faut aussi la parole proclamée dans le désert, un désert parfois bien vide d’auditeurs. Mais qui parle aujourd’hui ? Qui sont les prophètes ? Bien sûr, il y a les prêtres, les évêques, le pape Ces prophètes à plein temps ne doivent pas nous faire oublier que, chrétiens, nous sommes un peuple de prophètes et que tous nous avons à «être toujours prêts à répondre à quiconque nous demande raison de l’espérance qui est en nous, mais avec douceur et respect» (1 Pierre 2,14). «Espérance», dit ce texte. Ce qui nous est donné dans le Christ n’est pas encore là, du moins en son ultime accomplissement. Notre manière de le posséder, c’est de l’attendre en certitude.
Père Marcel Domergue