Ce discours a été prononcé ce dimanche à 11 h, place Aristide Briand par Joseph Wesmann, rescapé de la rafle.
Nous commémorons le 78 ème anniversaire de la Rafle du 16 juillet 1942. Cette rafle, décidée et organisée par la police française, avait pour but d’arrêter un maximum de Juifs, hommes, femmes et enfants,
habitant Paris et la région parisienne.
Durant l’occupation allemande, la journée la plus dramatique pour les Juifs fut ce 16 juillet 1942.
Ce jour-là, avec une implacable détermination et une organisation longuement et minutieusement préparée, le gouvernement de fait de l’Etat français met en œuvre une opération appelée « opération vent printanier », destinée à éradiquer totalement et définitivement de la population française, les « Juifs ».
Tous les Juifs sans exception.
Toutes les administrations apportent leur concours : douane, police, gendarmerie, etc.
Le thème est : « Il faut se débarrasser des Juifs en bloc et ne pas garder de petits ».
Quelqu’un exprime ce que tous ressentent : « Je suis blessé en tant que français de l’insulte que l’on me fait en tant que Juif ».
Dès l’aube, les policiers tirent du sommeil des familles hébétées.
Des milliers de groupes circulent dans Paris. Ils sont composés de 7 à 8 personnes : deux policiers et 5 à 6 civils, hommes, femmes et enfants, portant l’étoile jaune. 4500 policiers français par équipe de deux, l’un en tenue, l’autre en civil, sont chargés de l’opération.
Quelqu’un demande :
- « Qu’est-ce qu’ils ont fait ? »
- « Rien. Ils sont Juifs. Ils n’ont plus le droit de vivre. »
- « Et les enfants aussi ? »
- « Oui. Les enfants aussi. »
Le bilan final de la rafle du 16 juillet 1942, à Paris et la région parisienne, est de 13 152 arrestations dont 4151 enfants.
Tout ce monde est rassemblé au Vélodrome d’Hiver, le Vél’ d’Hiv’, aujourd’hui disparu.
Les autobus parisiens se chargent du transport.
Les conditions d’hygiène et d’internement sont insupportables.
Une clameur de fond incessante, cris de femmes et d’enfants qui hurlent jours et nuits.
La situation sanitaire se dégrade rapidement.
Les malades sont évacués sur des brancards.
Dans un acte de désespoir, une femme se jette du haut des gradins ce qui provoque une tension extrême, terriblement angoissante.
Cet enfermement intolérable va durer du 16 au 19 juillet.
Il fait une chaleur torride ; le manque de boisson et de nourriture se fait cruellement sentir car il ne sera rien distribué au cours de ces 4 jours.
Puis, le 19 juillet, le Vél’ d’Hiv’ est vidé de tous ses internés. La traversée de Paris se fait en autobus vers la gare d’Austerlitz.
Ce sera alors un interminable voyage en wagon à bestiaux surchauffés, laissant passer un minimum d’air et de lumière.
Chevaux en long : 8
Hommes : 40
Nous sommes peut-être 200 par wagon, avec une tinette par wagon.
Parti le matin, le train n’arrivera que le soir après avoir parcouru une centaine de kilomètres.
Un convoi se dirige vers Pithiviers, un autre vers Beaune-la-Rolande : deux camps d’internement située dans le Loiret.
Arrivés à la gare de Beaune-la-Rolande, un long convoi d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards s’étire interminablement et traverse le village pour se rendre au camp.
Après quelques semaines d’internement, arrive le jour de la déportation dont le but est la solution finale.
La dernière journée au camp de Beaune-la-Rolande fut la plus effrayante, la plus angoissante pour tous et surtout pour les enfants.
Dès l’aube, chacun passe dans la baraque des fouilles devant de jeunes miliciens qui doivent s’assurer et vérifier que personne n’a gardé de valeurs en argent ou autres. Les montres, les bagues et autres bijoux sont retirés. Les boucles d’oreilles sont brutalement arrachées, avec le bout de l’oreille si ça ne va pas assez vite.
Malheur à ceux ou celles qui ont caché quelque chose. Ils seront matraqués à tour de bras par les miliciens haineux.
Nous sommes en rang dans la cour du camp depuis le lever du soleil qui monte jusqu’à devenir brûlant, debout sans boire, ni manger, ni faire nos besoins pendant 10 à 12 heures. Jusqu’à ce qu’en fin d’après-midi arrive dans le camp, un groupe de soldats allemands en armes, accompagné d’un officier de haut rang, vu son uniforme rutilant.
Ce sont les premiers allemands que nous voyons dans le camp.
Il vient dire au commandant du camp que Berlin n’a pas donné son accord pour que soient déportés les enfants, comme l’a décidé le gouvernement français.
Les enfants retournent donc dans l’enceinte du camp avec la promesse qu’ils rejoindront leurs parents rapidement. Cela sans doute pour éviter des réactions trop violentes, incontrôlables.
Cette opération terminée, arrive l’ordre de prendre le chemin de la gare. C’est alors que se déroulent des scènes insoutenables qu’aujourd’hui encore, j’ai peine à évoquer et que je pleure en les revoyant.
Ces enfants dont mes deux sœurs hurlent leur détresse, leur chagrin. La scène est telle que je ne trouve pas les mots pour la décrire.
Et les mères qui se débattent, les pères et les grands-parents qui crient, les frères et sœurs qui hurlent car certains partent alors que d’autres restent.
Et ce sont des milliers d’êtres humains qui, dans ce chaos apocalyptique, se débattent, hurlent et souffrent.
Comment décrire cette scène qui dure, qui dure et qui n’en finit pas….
Enfin, le convoi quitte le camp pour la gare et après l’enfer que nous venons de vivre, un silence de mort s’abat sur le camp. Silence assourdissant, oppressant, angoissant, insoutenable. Camp où ne restent que des enfants hébétés, épuisés, hoquetant leurs dernières larmes et leur immense chagrin, inconsolables.
Plus de 11 000 enfants furent déportés de France de 1942 à 1944 et assassinés à Auschwitz.
A cet instant précis, comment ne pas être inondé d’une immense détresse à la pensée de ce train de la mort qui quitte la gare de Beaune-la-Rolande. Il va rouler trois jours et trois nuits dans des conditions inhumaines emmenant ces milliers d’hommes, de femmes, d’enfants et ma propre famille vers une funeste destination. Détail de l’histoire diront certains…
Trois camps tristement célèbres en France : Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande où furent internés des milliers d’enfants sans parents.
Avant le film « La Rafle », cette indescriptible tragédie de ces enfants, abandonnés à eux-mêmes, avait été peu évoquée. Peut-on imaginer spectacle plus déchirant que ces petits êtres, hier dans la chaleur de l’amour familial et aujourd’hui devenus loques encombrantes, sales et inutiles dont personne ne veut ?
Ces enfants qui n’ont pas encore vécu et dont l’extermination sera la seule délivrance.
Il me faut rendre un vibrant hommage à la population française non juive, Juste parmi les nations et tout particulièrement sarthoise. Par son courage et malgré une propagande antijuive virulente et haineuse, appelant au meurtre par tous les moyens de communication de l’époque : journaux, radio, cinéma, affiches, etc. De tous les pays occupés par les nazis, c’est en France qu’il y a eu le moins de déportés à l’exception du Danemark et de la Norvège dont la densité de population juive était très faible. Et ce, malgré le gouvernement de Vichy, complice de l’occupant nazi.
Si « seulement » 75 721 juifs ont été déportés de France, soit 25% de la population juive, cela signifie que 75% a été sauvée et n’auraient pu l’être sans l’aide active de la population française non juive.
Il faut aussi souligner avec insistance la participation active de hauts dignitaires de l’église notamment à Toulouse, Montauban et Lyon, le travail magnifique de congrégations religieuses qui a sauvé des milliers d’enfants juifs.
J’exprime au passage ma reconnaissance émue aux deux gendarmes qui nous ont aidé au cours de notre évasion, mon copain Jo et moi. Dans l’uniforme détesté, il y avait aussi deux résistants, deux hommes de cœur.
En France, 75 721 juifs ont été arrêtés et déportés directement à Auschwitz, en Pologne. Un voyage interminable, inhumain, puisque à l’arrivée, à l’ouverture des wagons plombés, de nombreuses personnes mortes d’épuisement, s’écroulent sur les quais, surtout des enfants.
A peine arrivés, vite on se déshabille, vite on s’entasse dans de soi-disant salles de douche qui sont en réalité des chambres à gaz. C’est l’asphyxie, l’agonie puis le four crématoire.
43 441 déportés français sont ainsi gazés dès leur arrivée.
Pouvez- vous imaginer un instant ces milliers de corps d’hommes, de femmes et d’enfants asphyxiés, sans vie, ces amas de cadavres enchevêtrés ? Insoutenables images.
Les autres vont mourir à plus ou moins brève échéance de faim, de froid, d’épuisement, de maladie et des effets d’expériences soi-disant médicales.
C’est la fin.
Il n’y aura que 2 564 survivants dont 25 de la Rafle du Vél’ d’Hiv.
Aucun enfant, arrêté lors de la Rafle et déporté, n’est revenu.
On peut considérer que ce sont les enfants qui ont payé le plus lourd tribut qu’ils aient été assassinés, torturés ou cachés.
En tout, 86 convois quittent le sol de France. Le premier le 27 mars 1941, le dernier le 22 août 1944 de Clermont-Ferrand alors qu’une partie de la France est déjà libérée.
De cette tragédie, il appartient aux historiens de faire leur travail et aux survivants, de faire le leur, c’est-à-dire de témoigner.
Nous, les victimes, nous n’oublierons pas et nous ne pardonnerons jamais.
La République française a repris ses droits, le gouvernement et toutes les administrations réalisent ensemble un travail remarquable notamment l’éducation nationale, pour informer, éduquer et leur but est : Plus jamais ça.
Nous sommes de nouveau régis par ce qui fait notre fierté : Liberté, Egalité, Fraternité.
Certes, l’antisémitisme, le racisme, la xénophobie existent toujours alors que les êtres de bonne volonté veulent la même chose : les religieux disent « Aimez-vous les uns les autres », les laïcs prônent la tolérance. C’est la même chose.
Enrichissons-nous de la culture des autres, ne la rejetons pas.
Au nom de tous les hommes de bonne volonté : laïcs, religieux, athées, chrétiens, musulmans, juifs et tous les autres, épris de justice et d’équité, œuvrons dans cette voie. Soyons vigilants, ne baissons pas les bras car le ventre de la bête immonde est toujours fécond.
Je vous demande encore quelques minutes de votre attention car j’aimerai évoquer quelques réflexions issues de notre actualité, liée à la pandémie d’un certain virus : le Covid 19.
Il a concerné toute la planète. Sur une population d’environ 7, 7 milliards d’habitants, plus de 580 000 sont morts de ce virus.
Pourquoi ce fléau sanitaire provoqué par le Covid 19 mobilise-t-il la terre entière alors que la haine de l’Autre, qui est infiniment plus meurtrière, mobilise si peu ?
A travers le monde, des millions, voir des milliards, ont été dépensés, pour informer et conseiller. Tous les médias ont été utilisés : radio, télévision, journaux, etc.
Contre le racisme, pas un centime. Et pourtant qui tue le plus ?
Car revenons aux génocides :
Entre 1915 et 1918, le génocide arménien : 1 500 000 personnes ont été massacrées, exterminées, anéanties, soit la moitié de la population arménienne, par l’Empire Otttoman et son allié l’Allemagne, avec une cruauté inouïe, une barbarie indescriptible dont, bien évidemment, ne sont responsables ni coupables, les turcs d’aujourd’hui ;
D’un côté, l’Occident chrétien. De l’autre, l’Orient musulman.
Le monde est resté muet, indifférent, lâche.
Pourquoi la Turquie actuelle refuse-t-elle obstinément de reconnaitre ce lourd passé incontestable ?
Ce négationnisme est intolérable et douloureux pour les descendants de ces martyrs. Sans oublier que la moitié qui a survécu a été spoliée, dépouillée de ses biens et mise au ban de la société.
L’ONU impuissante à faire reconnaitre et voter sur ce sujet.
Entre 1939 et 1945, le génocide des juifs de l’Europe occupée.
Les nazis, avec la collaboration des gouvernements des pays occupés, a massacré, exterminés, anéantis 6 millions de juifs, soit la moitié de la population juive.
Le monde est resté muet, indifférent voire même pas fâché d’être débarrassée des juifs.
Puis, en 1994, il y eut le génocide des Tutsis au Rwanda.
Et enfin, la Syrie, pays de 13 millions d’habitants, en guerre depuis neuf ans. 300 000 morts, 3 millions de personnes déplacées, chassées de chez elles avec toutes les souffrances que cela implique dans l’indifférence quasi générale.
L’ONU, vous savez le « grand machin », inefficace, incompétente….
N’y aurait-il pas matière à réflexion ? N’y aurait-il pas des leçons à tirer et des actions à mener ? Surtout agir pour les générations à venir.
Comment faire comprendre que nous sommes tous solidaires, que nous sommes tous égaux, ni supérieurs, ni inférieurs, tous membres d’une même humanité et que nous avons besoin les uns des autres.
Comment faire comprendre et admettre qu’il ne faut plus « accepter l’inacceptable ».
Et cette fois, j’en aurai fini.
Vive la République, Vive la France.
Joseph Weismann
19 juillet 2020